La Fayette et la rue d’Anjou Faubourg Saint-Honoré – Paris 1820 – 1834

Introduction

Le Fonds de Dotation HÔTEL MAZIN LA FAYETTE 1728 poursuit depuis sa création officielle (J.O. du 31 juillet 2010) un programme d’études financé par les dons des Fondateurs.

Suite à l’autorisation de visite privée du CHÂTEAU DE LA GRANGE–BLÉNEAU en SEINE-&- MARNE accordée par la FONDATION JOSÉE ET RENÉ DE CHAMBRUN, dépositaire du site où vécut LA FAYETTE trente-quatre années de sa vie, une délégation de notre Fonds a pu étudier un certain nombre de documents d’archives permettant de mieux comprendre la vie de LA FAYETTE, rue d’ANJOU à PARIS VIII.

Cette délégation conduite par le Président réunissait Thibault DANJOU, Vice-Président, Françoise JOUANNEAU (Hermione), Vice-Présidente et François SOUTY, Professeur, Chercheur et Fondateur du Cercle JEFFERSON.

Cette visite privée du 6 avril 2013 sur le site très fermé du CHÂTEAU DE LA GRANGE-BLÉNEAU, près de COURPALAY (canton de COULOMMIERS), a débouché sur la production de copies d’archives, support pour partie de la présente note en complément des documents déjà réunis (plans, courriers…).

Des racines dans le quartier du Faubourg St-Honoré / la ville l’évêque

Il faut se souvenir que Gilbert du MOTIER, orphelin de père tué au combat en 1759 puis orphelin de mère à l’âge de 13 ans, hérite quelques mois plus tard, en 1770, de la fortune de son grand-père maternel, le Marquis de LA RIVIÈRE qui décède également cette même année, faisant de lui l’un des jeunes hommes les plus riches de France.

Son arrière-grand-père maternel, toujours vivant, résidait alors rue de SURÈNE, au numéro 25 aujourd’hui, dans le très bel hôtel du Comte de LA RIVIÈRE, l’actuelle résidence de l’ambassadeur de Belgique en France.

Le jeune marquis de LA FAYETTE, puisqu’il porte le titre de son père, monte à Paris chez son arrière-grand-père pour étudier au collège DU PLESSIS, l’actuel collège LOUIS-LE-GRAND et commencer en parallèle une formation d’élève officier au régiment des MOUSQUETAIRES NOIRS DU ROI.

Il connaît donc bien ce quartier de la rue d’ANJOU et du faubourg SAINT-HONORÉ qui fut son premier quartier parisien après une enfance sauvageonne au château de CHAVAGNAC-LA FAYETTE.

Hôtel du Comte de LA RIVIÈRE

1820 – le retour vers la rue d’Anjou au numéro 35 de l’ancien cadastre 

Les années 1800 à 1820 sont marquées par son retour d’exil et surtout d’enfermement dans la forteresse autrichienne d’OLMÜTZ, son opposition à l’Empire, puis son rôle majeur dans l’abdication de NAPOLÉON 1er à l’issue des Cent-Jours.

Depuis son château de LA GRANGE-BLÉNEAU, il est l’un des rouages clés de l’opposition à la Première Restauration des BOURBONS de 1814 à 1815, puis la Seconde Restauration de LOUIS XVIII de nouveau en 1815, après les Cent-Jours de NAPOLÉON 1er.


Château de LA GRANGE-BLÉNEAU 

1820 est une année clé pour LA FAYETTE surveillé en permanence par la gendarmerie de SEINE-ET-MARNE ; il a besoin d’un pied-à-terre discret à Paris. Le 35 de la rue d’ANJOU, au 3ème étage d’un hôtel au milieu des vergers et des potagers (le boulevard MALESHERBES n’est pas encore percé et la rue d’ANJOU dans la continuation du carrefour de la rue de la VILLE L’ÉVÊQUE est encore très campagnarde).

C’est depuis cet hôtel du 35, rue d’ANJOU qu’il œuvrera à la création de la loge des AMIS DE LA LIBERTÉ en 1820, loge qui sera le creuset de l’élite libérale opposée aux Bourbons, formalisée dans la Société secrète de la CHARBONNERIE française dont LA FAYETTE est l’un des principaux bailleurs de fonds et inspirateurs.

Pour mémoire, la CHARBONNERIE française (ne pas confondre avec son homonyme italien), c’est l’Affaire de Vincennes en 1820 qui aurait dû déboucher sur la séquestration de la famille de Louis XVIII, puis l’insurrection de BELFORT le 29 décembre 1821 qui devait voir l’armée prendre le contrôle des villes de garnisons françaises, puis restaurer un état démocratique et libéral.

Mal préparée et infiltrée par une police royaliste très organisée, sujette à la délation, l’insurrection échoue, les rangs de l’armée épurés et LA FAYETTE qui se retire précipitamment à LA GRANGE-BLÉNEAU fortement inquiété mais laissé en liberté.

Voyage triomphal de La Fayette

Il revient de nouveau à Paris en 1821 et contribue à la dissolution de la Chambre le 24 décembre 1823, ce qui ne se révélera pas une bonne idée car la circonscription de MEAUX est fatiguée de ses oppositions libérales ou révolutionnaires : LA FAYETTE ne sera pas réélu.

C’est dans ce contexte difficile pour LA FAYETTE qu’il reçoit à point nommé l’invitation du Président MONROE à visiter les États-Unis en sa qualité de «GUEST OF THE NATION».

Ce sera la première et la dernière invitation de cette nature concernant tous les États de l’Union et votée à l’unanimité par la CHAMBRE et le CONGRÈS (l’original de cette invitation est dans les cartons du château de LA GRANGE-BLÉNEAU).

Ce voyage triomphal débute en août 1824. LA FAYETTE recevra tous les honneurs. Des villes, des comtés, des montagnes, des places, des loges américaines prendront son nom…

Il visite les trois présidents, Thomas JEFFERSON, le monument, à Monticello, James MONROE, bien sûr, mais aussi John Quincy ADAMS élu contre tous les pronostics sixième président des Etats-Unis (c’est le général JACKSON qui était arrivé en tête).

La Chambre des Représentants votera in fine et à la surprise générale pour ADAMS (les triangulaires réservent souvent des surprises !).


John Quincy ADAMS
Cet épisode ouvre les yeux à LA FAYETTE qui comprend que le champ de possible reste toujours ouvert en politique. 

Cette élection surprise sera du pain béni pour LA FAYETTE car, dans l’optimisme du moment, ADAMS offrira, au nom de l’Union, des terres américaines à LA FAYETTE, mais aussi $200 000 qui tomberont à point nommé car LA FAYETTE a perdu la plus grande partie de la fortune de son grand-père.

Ses contributions financières à cinq révolutions – l’américaine, les deux boliviennes, et les deux polonaises – ne sont pas étrangères à cette situation mais aussi ses talents discutables dans le « Private Equity » du moment qui débouchent tous sur des fiascos !

(Le café et le caoutchouc équitables ne sont pas encore tendances ; LA FAYETTE était trop en avance sur son temps !).

Seules ses initiatives dans l’agriculture et l’élevage modernes à LA GRANGE-BLÉNEAU seront marquées par le succès.

Son statut de «Traître à la Nation» du 19 août 1792 décrété par l’Assemblée Jacobine lui vaudra également une confiscation de ses biens comme tous les exilés (c’était cela ou sa tête sous le couperet de l’échafaud).

Requinqué par son itinéraire américain, il rentre à Paris en septembre 1825 et découvre les travers de la monarchie «ultra» installée par le duc d’ARTOIS devenu CHARLES X à la mort de son frère LOUIS XVIII. Il sera sacré le 29 mai 1825 alors que LA FAYETTE caracole de ville en ville et d’état en état outre-Atlantique.

L’accueil sera glacial, les troupes de CHARLES X empêchant le peuple de fêter LA FAYETTE à son retour.

4 000 personnes l’attendront quand même à LA GRANGE-BLÉNEAU !

 

Du 35 au 6 de la rue d’anjou (l’actuel numéro 8 )

LA FAYETTE, qui avait beaucoup renoncé à sa vie sociale et au paraître, a bien retenu la leçon américaine. Les batailles politiques nationales se gagneront dans la capitale, pas en SEINE-ET-MARNE !

Il faut paraître, recevoir, être là, incontournable, présent dans le contexte et l’air du moment car il croit toujours à son destin national.

Son pied-à-terre du 3ème étage du 35, rue d’ANJOU ne convient pas pour cette vie sociale et politique, car il pressent bien que l’ultra-monarchisme de CHARLES X débouchera sur une nouvelle crise grave sinon une révolution.

En décembre 1825, il visite au 6 de la rue d’Anjou (l’actuel 8 ) l’appartement du 1er étage, libéré par le comte de BELLIARD, dans le bâtiment historique MAZIN et décide de s’y installer car il est bien situé et suffisamment vaste.

Plan des façades et Buste de La Fayette

L’ouvrage de Georges HARTMANN, L’HÔTEL DE LA RUE D’ANJOU, comporte ici quelques erreurs de dates rétablies par les mémoires des artisans qui vont travailler neuf mois durant dans le nouvel appartement de réception, loué par LA FAYETTE à Louis MARQUET, comte de MONTBRETON, propriétaire de l’hôtel qui réside sur place ainsi que son frère MARQUET DE NORVINS, baron de MONTBRETON.

Bien qu’il ne soit pas propriétaire, la lecture des mémoires de travaux est édifiante, tant pour la maçonnerie, la menuiserie, la fumisterie, la serrurerie ou, bien sûr, la peinture et les papiers peints qui sont devenus tendance.

La simplicité de LA FAYETTE qui transparaît dans l’étude de Georges HARTMANN doit être relativisée. C’est lui qui dessine le 1er étage sur le modèle du rez-de-chaussée, une enfilade permettant cette remarquable perspective de la rue d’ANJOU au fond de l’enfilade où se trouve sa chambre.

Il s’installe «simplement» avec son valet de chambre, son secrétaire, sa cuisinière, son cocher, deux domestiques qui vivent sur place et dont on refait les chambres de service mais aussi ses chevaux, ses calèches, sa sellerie, les coffres pour l’avoine de ses chevaux…

 

Hôtel Mazin Façade rue  / enfilades des salons du 1728

Nous ne sommes pas encore dans la configuration «moderne» de la rue d’ANJOU mais dans une configuration intermédiaire.

Le bâtiment sur rue, aujourd’hui occupé par l’hôtel MARQUIS FAUBOURG SAINT HONORÉ comprend quatre boutiques en rez-de-chaussée et deux beaux appartements sur étage ainsi que de nombreux logements du personnel au-dessus.

L’entrée sous passage cocher est très semblable à celle d’aujourd’hui.

On pénètre au rez-de-chaussée de l’hôtel MAZIN par l’actuelle Salle d’Armes du 1728 puis au 1er étage par un nouvel escalier dont les volées de marches vont de la Salle d’Armes à l’entrée de l’antichambre de l’appartement du 1er étage.

L’antichambre du 1er étage dessert le grand salon, le cabinet de travail et enfin la chambre de LA FAYETTE.

Salle d’Armes Salon de récéption du 1728

L’aile du fond de la cour à l’est correspond à cette époque à des garages à calèches, une grange à foin, des logements pour les cochers, des souillardes et de nombreuses parties communes pour cet hôtel qui compte plus de quarante occupants avec le personnel.

On monte dans les chambres du personnel par un escalier qui se trouvait dans la deuxième cour (l’actuelle cour du siège de banque).

Cette cour arrière voyait sur la gauche seize boxes à chevaux et sur la droite l’espace de ferme qui caractérisait tous ces hôtels hors les murs avec leurs poules, leurs canards, leurs lapins, et mêmes leurs cochons…

Le grand escalier de l’aile est au fond de la cour n’existait pas en 1825. Il est beaucoup plus tardif et toute cette aile de vie était réservée au personnel et aux communs.

On montait dans les chambres de service au-dessus des deux appartements du bâtiment MAZIN par un petit escalier intérieur (l’attique au 3ème niveau sera rajouté plus tard en lieu et place du toit MANSART).

Le grand escalier intérieur et le petit escalier seront détruits, sans doute par Monsieur Alexandre-Nicolas de LOPES qui succéda pendant dix ans à la famille MARQUET (MONTBRETON) propriétaire pendant plus de 85 ans et qui réalisa d’importants travaux constatés dans une note du contrôleur des contributions directes en 1853.

Les travaux réalisés par LA FAYETTE ont contribué à figer les principes d’aménagement du 1er étage qui seront revisités par la division en deux appartements et la création de deux nouveaux escaliers l’un à l’est et l’autre sous passage cocher après la destruction du grand escalier côté rue d’ANJOU, dans la Salle d’Armes.

Une chose est claire : les appartements des deux propriétaires actuels du 1er partagent les souvenirs de l’appartement de LA FAYETTE.

Au total, il aura dépensé 150 000 euros d’aujourd’hui en travaux selon le calcul d’actualisation de François SOUTY (francs CHARLES X contre €) et selon les mémoires de ses fournisseurs, dont nous avons copie.

Dans son nouvel appartement de la rue d’ANJOU, LA FAYETTE reçoit tous les mardis.

C’est le salon mondain où il faut être vu.

Beautés du moment, écrivains à succès, nouveaux talents politiques se pressent et montrent qu’ils sont là dans ce lieu «branché», même s’il est très surveillé (les RG de l’époque campent devant le 8, rue d’ANJOU !).

L’explosion arrive brutalement en juillet 1830 et nous la décrivons dans une note accessible sur le site www.hotelmazinlafayette.com.

En juillet 1830, LA FAYETTE a 73 ans. Il souffre d’un col du fémur cassé et surtout très mal réparé par un mauvais médecin de campagne à la suite d’une chute sur le verglas en sortant de l’hôtel de la Marine en 1803.

Révolution de juillet 1830

Ce que ne voit pas LA FAYETTE rue d’ANJOU dans cette période qui devait naturellement le porter à la présidence de la 1ère République française, ce sont trois clés qu’il oublie ou feint d’oublier :

- Première clé. Ses amis américains sont persuadés que les Français ne sont pas mûrs pour une république et que le modèle anglais de la monarchie constitutionnelle est un bon modèle pour la France. James Fenimore COOPER, le grand écrivain américain qui a vécu en Europe de 1826 à 1833, très proche de LA FAYETTE, le décourage d’aller vers cette voie républicaine.

- Seconde clé. LA FAYETTE n’a pas compris que le mouvement libéral auquel il appartient est de tous temps et encore aujourd’hui un mouvement de cultures hétérogènes où se côtoient tous les opportunismes.

Adolphe THIERS en est le modèle par excellence ! Orléaniste convaincu à ses débuts, il visitera successivement le centre, le centre-gauche, puis la gauche et la gauche de la gauche !

En 1830, il n’a que 33 ans, mais il sera le bras armé de TALLEYRAND, encore lui, et fera le jeu avec talent de l’avènement de LOUIS-PHILIPPE…

-Troisième clé. LA FAYETTE n’a plus vraiment d’appétit… or, le pouvoir est une quête où il faut avoir très faim, ce qui n’a jamais été le cas de ce jeune homme devenu trop riche sans le vouloir et qui récolta par chance et par talent tous les honneurs et toutes les gloires.

LOUIS-PHILIPPE sera donc fait roi avec son assentiment et sa participation active sur le balcon de l’Hôtel de Ville.

Le monarque très peu constitutionnel fera tout très vite pour l’écarter (il sera remercié de son poste de Général en chef de la Garde nationale, ce grade étant supprimé)


Mort de La Fayette et Chambre de La Fayette
LA FAYETTE restera fidèle à sa rue d’ANJOU où il décède le 20 mai 1834. Il allait vers ses 77 ans. Il pensait vivre centenaire, c’était sans compter sur un mauvais germe ! 

Il ne put faire la rencontre de François MAGENDIE qui arrive au 6 de la rue d’ANJOU en 1846. François MAGENDIE est le père fondateur de la physiologie expérimentale moderne et Claude BERNARD son continuateur.

Jean-François CHUET,

Président.

© Fonds de Dotation HÔTEL MAZIN-LA FAYETTE – 1728

 

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